Le 28 novembre 1920, le conseil municipal de La Baule acte la construction d’un pylône panoramique au sommet de la grande dune. Dans la même séance sont décidés le dégagement et la protection des ruines du Vieil Escoublac situées en contrebas. Dans l’esprit d’André Pavie, le maire de l’époque, il s’agit donc autant de valoriser un exceptionnel site géographique, que de sauvegarder la mémoire du passé.
Prudent, le maire s’était abstenu de toute décision avant d’obtenir l’accord du Service des Eaux et Forêts alors propriétaire de la forêt d’Escoublac. L’accord datait du 25 novembre. La célérité avec laquelle le conseil municipal décide la construction du pylône montre assez l’intérêt que le maire porte à ce projet. Un premier choix se porte sur un des nombreux pylônes d’observation utilisés par l’armée française pendant la guerre 14-18. Mais la tentative de récupération du matériel militaire est un échec.
Il est donc voté une indemnité de 4 000 francs pour la construction du belvédère. C’est un charpentier baulois, monsieur Legouic-Huchet, qui remporte l’appel d’offre, et construit le belvédère au printemps 1922.
Erigée à 6 mètres au dessus du sol, la plate-forme d’observation est de dimensions modestes (4 mètres x 4 mètres ), mais elle permet à de nombreux promeneurs de contempler sur 360° une vue magnifique. La montée est alors payante, soit 0,50 francs pour les adultes et 0,25 francs pour les enfants. C’est Henri Morin, grand mutilé de guerre, qui délivre les tickets au pied de l’escalier du pylône. Il accroît ses appointements en vendant aussi des cartes postales et des boissons non alcoolisées qu’il tient en réserve dans sa cabane.
Parvenu sur la plate-forme, le touriste peut compter sur le grossissement d’une longue vue pour apprécier davantage les détails lointains du paysage. Il lui en coûtera seulement 0.25 francs supplémentaires pour 5 minutes d’utilisation.
Mais la municipalité a vu trop juste : en septembre, il lui faut débourser 500 francs supplémentaires pour que le charpentier surélève le belvédère de 2 mètres , afin de dominer complètement le couvert végétal. Fin septembre, c’est la fin du service pour monsieur Morin, car le belvédère n’est ouvert aux touristes que pendant trois mois et demi en comptant les vacances de Pâques. Il faudra donc attendre Pâques 1923 pour que l’édifice rehaussé reprenne du service. Cela n’affole pas trop la municipalité : la première saison est incontestablement un succès, et le guide touristique ne tarit pas d’éloge sur le panorama qui se déroule sous les pieds.
Les édiles font leurs comptes : 4 266 francs + 500 francs pour le charpentier, 1 000 francs pour la longue vue, 700 francs pour les appointements du gardien, cela fait…voyons…6 466 francs de dépenses, sans oublier le 1 franc symbolique dû au service des Eaux et Forêts pour la concession d’un terrain d’environ 50 ares, englobant le belvédère et les ruines du village recouvert par les sables.
Quant aux rentrées d’argent, seules subsistent dans les archives de la commune les recettes des années 1926, 1927 et 1928. Pour 1926, l’année la plus rentable (on verra plus loin pourquoi), les montées au belvédère ont rapporté 1018.50 francs, ce qui correspond à environ 2 500 montées payantes (quand même !), auxquelles on peut ajouter tous les enfants de la commune pour lesquels le gardien fermait les yeux. De ces 1018,50 francs, il faut retirer les 700 francs dus à monsieur Morin pour sa surveillance. Restent 300 francs, qui n’étaient pas le Pérou, mais sur les 9 ans que duraient la concession, cela permettait un gain net théorique de 2 700 francs.
La construction du belvédère de la grande dune n’était pas une si mauvaise affaire que cela, surtout si l’on réfléchit aux dépenses annexes des visiteurs, forcément assoiffés après une longue marche dans la chaleur de l’été. Ah ! quel plaisir que de se rafraîchir à la terrasse d’un café baulois en attendant nonchalamment le sifflet de la locomotive qui vous ramènerait à la grande ville !
Mais les meilleures choses ont une fin, et il était écrit que le belvédère de la grande dune ne verrait pas l’électrification de la ligne, ni même la mise en service des locomotives diesel.
En 1927 (nous y voilà), le résultat d’exploitation baisse de moitié : 512,50 francs, soit une fréquentation d’environ 1 300 visiteurs. Idem en 1928 avec 518,50 francs. Quel cataclysme peut bien expliquer une chute aussi spectaculaire de la fréquentation ?
Peinture de Béatrice Driancourt, d'après une description de l'époque. A notre connaissance, il n'existe aucune photographie de ce premier belvédère.
Revenons quelques années en arrière. En 1923, Louis Lajarrige et la Société générale foncière ont comme ambition de développer un tout nouveau quartier autour de la place des Palmiers. Pour agrémenter le quartier, le promoteur fait aussi aménager un parc, le parc des Dryades. Les sources d’information manquent pour être totalement affirmatif, mais on peut raisonnablement penser que monsieur Lajarrige, constatant le succès du belvédère de la grande dune, voulut lui aussi avoir son propre belvédère, offrant une attraction supplémentaire dans son parc tout neuf. C’est ainsi que naquit le belvédère des Dryades, plus grand, plus central et beaucoup plus connu que son prédécesseur.
Le fait que les rapports entre la municipalité de l’époque et le fougueux entrepreneur étaient parfois conflictuels a peut-être aussi contribué à la construction du nouveau belvédère concurrent …
Quelques fussent les motivations profondes de Lajarrige, les faits sont là : à partir de 1927 (vraisemblablement la date de mise en service du belvédère des Dryades), les chiffres de fréquentation ont chuté en haut de la grande dune. Pour ne rien arranger, le premier belvédère vieillit mal : l’escalier, la plate-forme et les balustrades en pin sont en très mauvais état. Des réparations sont alors entreprises en 1928-1929, en 1930, le bail avec le Service des Eaux et Forêts est bien reconduit pour 3 ans, mais c’est le chant du cygne : en mai 1933, force est de constater l’état de vétusté et de dangerosité du pylône. Depuis quelques temps déjà l’emploi de monsieur Morin avait été supprimé, et c’est sans regret que la municipalité vote la démolition du belvédère,
...adjudication qui sera remportée par Emile Bertho, forgeron charron d’Escoublac, qui réemploiera les robustes poteaux d’angle en chêne comme bois de charpente. Les rondins de sapin finiront quant à eux dans les cheminées de la commune…Triste fin pour un belvédère posté sur la deuxième dune de France, et tourné vers la plus belle plage d’Europe…
Monsieur Lajarrige, s’il le fit, ne savoura pas longtemps sa victoire : l’orgueilleux belvédère des Dryades constituait un point haut très remarquable, et même trop remarquable pour les Allemands qui occupent la France à partir de juin 1940. Il est abattu sans plus de cérémonie, très probablement dès le début de l’Occupation.
En 1951, réconcilié avec la municipalité, Louis Lajarrige signe la donation de son parc à la commune. Dans cet acte, il exprime le souhait que la commune fasse édifier un belvédère en ciment armé, de 25 mètres de hauteur minimum. La municipalité songe un temps à lancer une souscription publique pour exaucer le souhait du généreux donateur puis se ravise. En ces temps de reconstruction, il y a d’autres urgences que de bâtir une construction ludique. Il faut, par exemple, songer à construire un lycée pour toute cette jeunesse qui a soif de vie et soif d’apprendre. Le second belvédère plonge alors à son tour dans l’oubli, et seuls quelques Baulois nostalgiques et pugnaces se souviennent avec émotion de ce que furent ces années où l’on avait « deux belvédères pour le prix d’un ».
Aujourd’hui, il n’est plus question de construire dans le parc des Dryades remarquablement réaménagé. Mais rien n’empêche que nous transposions la construction voulue par Lajarrige en haut de la grande dune, là où la vue est magnifique et l’impact sur le milieu très mesuré. Il se trouve aussi que 25 mètres , c’est la hauteur qui permettrait de dépasser la cime des arbres qui ont considérablement grandi depuis l’époque du premier belvédère.
Alors nous voulons aujourd’hui reconstruire avec la même conviction que nos prédécesseurs un belvédère ; nous voulons voir ce magnifique panorama du sommet de la deuxième plus haute dune de France.
Il nous appartient maintenant de l’imaginer, de proposer des options architecturales, d’utilisation de matériaux adaptés, d’intégration environnementale qui feront de cet édifice une œuvre remarquable qui comptera dans les destinations touristiques de la côte d’Amour.
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